Silent Jenny de Mathieu Bablet, Une conclusion sombre et foisonnante

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Silent Jenny vient clore la trilogie de science-fiction de Mathieu Bablet après Shangri-La puis Carbone & Silicium. L’album nous plonge dans un monde stérile et presque entièrement recouvert de nuages toxiques où la lumière peine à filtrer. Les humains ont été décimés au fil des siècles et vivent désormais en petits groupes isolés qui ne communiquent plus vraiment. La mondialisation appartient au passé et chacun tente d’inventer sa manière de survivre dans un paysage ravagé.


Dans ce décor, Jenny, biologiste au service de la Pyrrhocorp, parcourt les ruines d’une Terre épuisée. Sa mission consiste à retrouver les traces génétiques d’un insecte disparu depuis longtemps, l’abeille. La disparition de cette espèce a interrompu la pollinisation, entraînant l’effondrement des cultures et une crise alimentaire qui a remodelé le monde. C’est à travers ce fil conducteur que l’album explore les solutions tentées par les humains pour reconstruire quelque chose malgré les pertes.


Le personnage de Jenny m’a particulièrement marquée. Elle est profonde, touchante, complexe, souvent extrême. Ses élans de vie côtoient des pulsions destructrices qui dérangent et interrogent. Elle cherche sa place, s’égare, s’entête, puis finit par trouver une forme fragile de vie collective. Sa trajectoire accompagne les ruptures du monde qui l’entoure et donne un ancrage humain à un récit par endroits presque suffocant.


Je n'ai jamais connu le premier monde. Je ne sais pas ce qu'il faut que j'espère, ni ce qu'on a perdu.


L’univers de Silent Jenny est immersif et détaillé, parfois jusqu’à l’excès. Les planches débordent d’éléments, de matières, de signes visuels qui saturent l’œil. Le foisonnement est impressionnant mais peut devenir étouffant, au point de rendre difficile toute projection personnelle. La lecture exige du temps, de la disponibilité, et une certaine capacité à soutenir la noirceur constante qui traverse l’album.


L’œuvre aborde de nombreuses thématiques déjà présentes dans Carbone & Silicium : notre mortalité, le rôle de la technologie dans la survie humaine, la disparition des écosystèmes, la pollution, la fragilité du vivant. La densité est telle que l’on oscille parfois entre fascination et fatigue. Pourtant, au milieu de cette accumulation, se dégage une volonté de regarder l’effondrement en face, d’explorer les tentatives humaines pour continuer d’exister et de créer du sens.


J’ai moins aimé Silent Jenny que Carbone & Silicium. L’univers est splendide mais si sombre qu’il donne envie de fuir. Le ton, la densité, la saturation des pages m’ont tenue à distance. Mais le personnage de Jenny reste, avec sa vulnérabilité et ses excès, et c’est elle qui m’a donné envie de poursuivre jusqu’à la dernière page. Elle porte l’album et lui donne un souffle émotionnel qui contrebalance un peu la dureté du monde.


Cette conclusion de trilogie frappe par son ambition et sa cohérence. Elle montre un futur où les humains tâtonnent, échouent, expérimentent, inventent. Un futur rude, mais où survivre ne signifie pas seulement persister, plutôt chercher encore comment vivre ensemble malgré la disparition du reste.



Des prolongements possibles :




  • Paru le 15 octobre 2025 / 320 pages
  • Auteur : Mathieu Bablet
  • Editions : Rue de Sèvres / Collection : Label : 619


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