Je lis souvent à mes élèves des albums qui ouvrent des portes sur le monde, mais Regarde en haut ! a opéré quelque chose de plus discret, presque insidieux : il a déplacé notre point de vue sans jamais nous y contraindre.
Suji, immobilisée sur son fauteuil, regarde la rue d’en haut. Les passants défilent, indifférents à sa présence. Rien de spectaculaire : aucune plainte, aucun récit pathos, seulement une perspective fixe, répétée page après page. Cette répétition, loin d’être un procédé décoratif, crée une tension visuelle. On est enfermé avec elle dans ce champ de vision restreint, obligé d’attendre. Le handicap n’est jamais explicité, il structure le cadre.
Puis un enfant lève les yeux. Le monde bascule, non parce que la compassion triomphe, mais parce qu’un geste minuscule vient rompre l’asymétrie du regard. Quand les passants s’allongent au sol pour lui offrir une autre perspective, ce n’est pas une « bonne action » édifiante : c’est une réorganisation de l’espace social. Les corps se placent différemment, donc les relations changent.
Ce renversement graphique et narratif interroge moins l’inclusion comme slogan que la façon dont nous naturalisons l’invisibilité de certains corps dans l’espace peublic.
Ce n’est pas un livre sur le handicap. C’est un livre sur la perception et l’attention comme actes politiques, à hauteur d’enfant.
- Auteur : Jin-ho Jung
- Paru le 3 septembre 2015 / 48 pages
- Editions : Rue du Monde / Collection : Coups de Coeur d'Ailleurs








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