Bureau 749 : sous la brume, une peur du vivant



J’ai eu l'occasion de voir Bureau 749 qui figure au programme du festival des Utopiales dont le thème cette année est la singularité. Quand je l'ai vu, je n’avais rien lu du synopsis, rien cherché à savoir. J’ai simplement suivi une intuition visuelle.

Et j’ai bien fait.


Je n’ai pas l’habitude de regarder des blockbusters, mais j’ai été bluffée par la puissance visuelle du film. Chaque plan est composé avec une rigueur picturale : les nuances de gris, la densité de la brume, la lumière diffuse qui avale les contours. On sent un soin obsessionnel porté à l’image, comme si la photographie était ici le véritable langage du film. Les réalisateurs chinois et coréens possèdent cette capacité rare à faire naître la beauté du chaos, à transformer une séquence d’action en tableau presque contemplatif.


Un scénario convenu, mais un sous-texte dérangeant

Le scénario, lui, n’a rien de révolutionnaire : une invasion extraterrestre, un bureau secret chargé de contenir la menace, un jeune héros aux capacités étranges. Rien que le spectateur averti ne connaisse déjà. Les acteurs non plus ne parviennent pas toujours à donner de l’épaisseur à leurs personnages.
Mais sous cette surface attendue, quelque chose d’autre s’agite : une angoisse du débordement.
Le film interroge, sans le dire ouvertement : que se passe-t-il quand ce que nous avons créé  ou réveillé  nous échappe ? Qu’il s’agisse d’un virus, d’une mutation biologique ou d’une intelligence artificielle, le thème est le même : la peur du vivant qui se transforme hors de tout contrôle.

De Premier Contact à Bureau 749 : deux visions de l’altérité

Tout au long du film, j’ai pensé à Premier Contact de Denis Villeneuve.
Les deux partagent cette esthétique du brouillard, cette lumière pâle où les formes se dissolvent. Chez Villeneuve, la brume est métaphysique : elle évoque l’indétermination du temps, la difficulté de comprendre un langage étranger, l’ouverture vers un autre mode de pensée. Chez Lu Chuan, le réalisateur de Bureau 749, elle est biologique : c’est une matière contaminante, une frontière instable entre l’humain et l’inhumain.
Là où Premier Contact cherche la communication, Bureau 749 montre l’échec de la maîtrise. Ce n’est plus la rencontre avec l’autre : c’est l’invasion du même devenu monstrueux.

On pourrait dire que l’un parle du langage, l’autre du gène.
Et ces deux approches se répondent parfaitement dans le cadre du festival des Utopiales : la singularité, qu’elle soit linguistique, technologique ou biologique, interroge toujours notre rapport à l’altérité. Sommes-nous encore capables de penser ce qui ne nous ressemble plus ?

Une fable post-pandémique

Difficile de ne pas lire dans Bureau 749 les fantômes récents de la pandémie.
La peur de la propagation, l’injonction au confinement, la militarisation du soin : tout cela affleure, parfois malgré le scénario lui-même. L’hybride qu’on cherche à neutraliser symbolise moins une menace extraterrestre qu’une mutation interne  celle d’une humanité qui ne sait plus où placer ses limites.
Le bureau secret chargé de tout contrôler devient, par renversement, une métaphore du pouvoir lui-même contaminé. Ce n’est plus l’étranger qui nous attaque ; c’est notre propre système de sécurité qui se retourne contre nous.

Une esthétique du brouillard

Ce qui m’a frappée, c’est à quel point le film fait exister le flou.
Le brouillard n’est pas seulement un décor : il est le personnage principal. Il empêche de voir, il engloutit les repères, il rend le monde indécidable. On ne sait plus ce qui est vivant, ce qui est artificiel, ce qui est humain.
Dans cette hésitation permanente, Bureau 749 touche quelque chose de juste : l’époque tout entière vit dans ce brouillard  technologique, biologique, informationnel  où tout se mélange.

Ce qui reste

Je ne dirai pas que Bureau 749 est un grand film. Il est maladroit, souvent prévisible, parfois emphatique.
Mais il m’a laissée avec des images puissantes : un corps à demi dissous dans la brume, des laboratoires où la science ressemble à la peur, une ville fantôme où les hommes se terrent dans leurs propres ruines.
Et surtout cette question, que je garde comme une résonance du thème des Utopiales :

Et si la singularité n’était pas un point futur où la machine dépasserait l’humain, mais un présent déjà là, où l’humain ne sait plus se distinguer de ce qu’il a engendré ?




Aucun commentaire