Un Petit Chaperon rouge de sang et de pétales : métamorphose illustrée

 

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Il y a des livres qu'on choisit pour leur couverture. Et parfois, la couverture devient promesse tenue, dépasse même nos attentes. C’est ce qui m’est arrivé avec Petit Chaperon de Beatriz Martin Vidal, publié chez Grasset Jeunesse et sorti en librairie il y a deux jours. Dès que j’ai aperçu l’image sur la jaquette, j’ai su que ce livre était pour moi. Il y avait ce "whouah" instinctif, ce frisson qu’on ressent face à quelque chose de beau et de fort à la fois. Et lorsque je l’ai reçu, je n’ai pas été déçue. Bien au contraire.


Ce n’est pas un livre à lire. C’est un livre à ressentir.

Très peu de texte, presque rien. Tout passe par l’image. Et quelles images… Un univers dense, symbolique, aux teintes sombres et profondes, ponctué de ce rouge vibrant, presque vivant, qui traverse l’album comme une rivière de sens. On y retrouve le conte du Petit Chaperon Rouge, bien sûr, mais dans une version profondément poétique, intime, charnelle même. Une réécriture silencieuse, presque méditative, où chaque plan semble issu d’un film intérieur.

Tout commence avec une pluie de pétales rouges. Ils tombent sur une enfant, et peu à peu, ils deviennent vêtement. On assiste à une naissance. Elle nous regarde, déterminée, comme si elle savait qu’il est temps. Temps d’affronter le monde. Temps de marcher seule dans la forêt.

Et là, la forêt devient théâtre. Masque, présence cachée, regard. Une scène m’a particulièrement marquée : celle où l’enfant trouve un masque blanc. Elle le regarde, le caresse, l’air encore naïve. Mais en arrière-plan — et c’est là que la narration visuelle prend tout son sens — se cache le loup. Derrière ce masque. Derrière l’innocence. Derrière le monde.

Adolescence ? Rencontre du prédateur ? Premier frisson de peur ? Il y a ce moment de bascule, cette tension où tout peut arriver, où le visage de l’enfant change. Et puis, la dévoration. Violente, sombre, rouge. Une image-choc, une métaphore peut-être de la perte, de l’abandon de l’enfance, d’un passage initiatique douloureux. J’ai pensé, en la regardant, à la perte de la virginité, à cette première blessure symbolique qui marque la fin d’une époque.

Mais le conte ne s’arrête pas là. Le Chaperon n’est pas qu’une victime. Elle creuse. Elle s’arrache. Dans un jaillissement d’écume rouge — presque les mêmes pétales que ceux du début — elle sort du ventre du loup. Et elle danse. Elle est vivante, transformée. Puis elle se tient debout sur le loup. Triomphante, figée, forte.

Et c’est là que quelque chose me dérange. Oui, elle a vaincu. Oui, elle est devenue adulte. Mais à quel prix ? A-t-elle vraiment gagné ? Ce face à face sur le corps du loup, cette raideur finale… quelque chose me serre le cœur. J’aurais voulu une issue moins sanglante. Une victoire par la ruse, par l’esprit. Mais ce n’est pas le chemin qu’a choisi l’autrice. Elle reste fidèle à l’âpreté du conte originel.

Petit Chaperon est un album magnifique. Troublant. Sensuel. Il dit beaucoup, en silence. Il interroge ce que signifie grandir, se défendre, devenir femme peut-être. Il ne propose pas de réponses simples, et c’est ce qui en fait sa force. Mais il bouscule, il marque, et il pousse à réfléchir. Pour moi, c’est un très bel objet-livre, autant qu’un support de discussion, voire d’analyse, pour les plus grands.

Un vrai bijou visuel. À ne pas mettre entre toutes les mains, mais à glisser entre celles qui cherchent des histoires qui résonnent, longtemps après la dernière page.


  • Titre : Petit Chaperon / Autrice : Beatriz Martin Vidal
  • Paru le 9 avril 2025 / 64 pages
  • Relié / Dès 6 ans 


3 commentaires

  1. Tu parles très bien de cet album... Cela me rend un peu nostalgique du temps où je devais lire des histoires le soir. Je me suis souvent régalée avec les livres pour enfants.

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  2. On dirait que cet album va bien au-delà du conte, je me trompe ?

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