Les Grandes Oubliées : une lecture qui bouscule l'Histoire

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J’ai refermé Les Grandes Oubliées de Titiou Lecoq avec une sensation mêlée d’émerveillement et d’indignation. Ce livre m’a offert un regard percutant sur l’effacement des femmes de l’Histoire et m’a poussée à questionner bien des vérités que l’on nous a enseignées.



Qu'en est-il de l’Histoire officielle ?

Dès les premières pages, j’ai été frappée par l’évidence que ce que nous croyons savoir repose parfois sur une sélection biaisée des faits, mais cela je le savais déjà ayant fait des études d'histoire : l'histoire se construit et se modifie avec de nouvelles découvertes d'où l'importance d'avoir toujours une certaine distance. L’image des femmes préhistoriques cantonnées à la cueillette, tandis que les hommes chassaient, est une fiction moderne. Des preuves archéologiques montrent que des femmes ont été chasseuses durant la Préhistoire (certaines étaient guerrière sous l'Antiquité enterrées avec leurs armes, on a longtemps cru que c'était des hommes en se fiant aux armes retrouvées cependant, grâce aux avancées technologiques (ADN) on sait aujourd'hui qu'un certains nombre étaient des guerrières.) Pourtant, elles auraient tendance à ne pas être mentionnées car elles remettent en cause un récit établi qui associe la guerre, la force et le pouvoir aux hommes, et le soin et la passivité aux femmes. D’ailleurs, notre vision de la préhistoire est aussi le reflet des biais des hommes qui vivaient alors dans des sociétés où les rôles étaient déjà établis, et ces interprétations postérieures ont contribué à figer ces stéréotypes. Je pense qu'il convient de conserver à l'esprit qu'on ne sait pas avec certitude on ne peut ni dire que les hommes étaient chasseurs exclusivement, ni dire que des femmes chassaient dans tel ou tel proportion  sans expliquer qu'on ne peut faire de généralité car les lieux, les époques, les modes de vies  étaient probablement assez variés.

L’un des aspects les plus frappants du livre est la démonstration que la sédentarisation (Néolithique) et la montée des inégalités sont allées de pair avec l’exclusion progressive des femmes des sphères du pouvoir. 

La Renaissance, souvent vue comme une période d’essor intellectuel, a en réalité été marquée par un profond recul des droits des femmes, avec notamment l’institutionnalisation du mariage comme moyen de contrôle et l’effacement des figures féminines influentes.


La disparition des autrices

Un des chapitres qui m’a le plus marquée concerne les femmes de lettres. J’ai découvert des noms dont je n’avais jamais entendu parler : Catherine Bernard, Marie-Anne Barbier, Mme de Gomez, Mme de Saintonge… Autant d’écrivaines talentueuses, lues et reconnues en leur temps, mais rayées de la mémoire collective par des institutions comme l’Académie française, qui a refusé d’accorder une place aux femmes.

Pourquoi apprend-on Voltaire, Rousseau, Hugo, mais pas ces autrices ? Parce qu’elles ont été jugées secondaires, leurs œuvres rangées au second plan, et parfois même attribuées à des hommes. Même le mot « autrice », parfaitement légitime, a été supprimé pour ne pas laisser d’espace à ces femmes dans le domaine littéraire. Lire cela m’a donné envie d’aller à la rencontre de ces écrivaines oubliées, de redécouvrir leurs œuvres et de les remettre à leur juste place.


Révolution, loi salique et femmes en lutte

Si la Révolution française a été une période d’effervescence intellectuelle et politique, elle n’a pas tenu ses promesses d’égalité pour les femmes. On se souvient souvent d’Olympe de Gouges, mais d’autres figures méritent tout autant d’être mises en avant. Claire Lacombe et Pauline Léon, par exemple, ont fondé la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires et ont milité activement pour l’égalité. Pourtant, elles aussi ont été réduites au silence par une Révolution qui, après avoir utilisé les femmes comme moteur du changement, les a exclues du pouvoir.

La loi salique, quant à elle, est un symbole fort de l’exclusion des femmes du pouvoir. Mise en avant pour interdire aux femmes d’accéder au trône, elle a contribué à justifier l’infériorisation des femmes dans de nombreux domaines, consolidant l’idée que la sphère publique devait être réservée aux hommes.


Le travail des femmes au XIXe et XXe siècle : une reconnaissance tardive

Le XIXe siècle est marqué par une industrialisation croissante qui a poussé de nombreuses femmes à travailler, souvent dans des conditions déplorables et pour des salaires misérables. Ce siècle a vu naître les premières grandes revendications féministes autour du droit au travail, à l’éducation et au vote. Mais c’est au XXe siècle que les femmes ont véritablement commencé à conquérir ces droits, à force de luttes acharnées.

Le travail des femmes a longtemps été perçu comme une simple extension des tâches domestiques. Même lorsqu’elles travaillaient dans les usines, les bureaux ou les hôpitaux, elles étaient maintenues dans des rôles subalternes et sous-payées. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour voir émerger de véritables avancées en matière d’égalité salariale et de droits professionnels.

L’histoire des ouvrières est également marquée par des combats exemplaires, comme celui des ouvrières de Limoges qui se sont révoltées contre leur agresseur sexuel. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, #MeToo n’a rien inventé : au XIXe siècle déjà, les femmes dénonçaient les abus dont elles étaient victimes. La surcharge de travail des ouvrières était aussi une question brûlante, dénoncée par certaines réformatrices sociales.


La dissection et la découverte des différences entre les sexes

Un passage du livre m’a particulièrement interpellée : celui qui traite de l’évolution de la perception scientifique des corps féminins. Avant les dissections anatomiques, la pensée dominante considérait que les femmes étaient des « hommes ratés », une version incomplète du sexe masculin. Avec les dissections, on a prouvé les différence entre sexe mais cela a servi à nouveau d'outil :  le cerveau féminin était plus petit,  leur physiologie les rendait plus fragiles et inaptes à certaines fonctions intellectuelles ou physiques.

Ces découvertes dites « scientifiques » ont souvent servi à légitimer des inégalités sociales et politiques. Pourtant, l’Histoire nous montre bien que ces distinctions étaient artificielles et que les femmes ont toujours joué un rôle actif dans tous les domaines, y compris ceux dont elles étaient exclues officiellement.


Les pionnières du féminisme et les femmes qui ont fait avancer les lignes

Le livre met également en lumière ces femmes qui ont osé défier l’ordre établi. Des figures comme Flora Tristan, Hubertine Auclert, Louise Michel, et plus tard Gisèle Halimi, ont porté haut la voix des femmes dans un monde qui cherchait à les faire taire. Elles ont revendiqué l’égalité politique, sociale et économique, souvent au prix d’un immense rejet et de violences.

Mais toutes les femmes qui ont fait avancer la cause féminine ne se revendiquaient pas féministes. Des figures comme Paulette Bernège, qui a œuvré pour améliorer la vie domestique et la condition des ménagères, ont également contribué à faire évoluer la place des femmes dans la société, même si elles ne militaient pas directement pour l’égalité des sexes.


Vers une réécriture de l’Histoire

Ce livre confirme que l’Histoire n’est pas figée. Elle a été écrite par ceux qui avaient le pouvoir de la transmettre, et nous avons aujourd’hui la possibilité de la revisiter avec un regard plus juste. Les Grandes Oubliées n’est pas seulement un livre sur les femmes, c’est une lecture essentielle pour comprendre comment notre monde s’est construit.



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