J’ai récemment dévoré une pépite dans la littérature jeunesse, et le terme « dévoré » prend ici tout son sens, car le choc fut presque physique. Il s’agit de Chez nous, premier album des sœurs coréennes Joo Jin et Kyung Jin. Et laissez-moi vous dire, ce n’est pas un simple livre, c’est une invitation audacieuse à se gratter la tête, même quand on est adulte.
L’idée de départ est aussi séduisante qu’inquiétante. Imaginez un zoo où tout est pensé, non pas pour la survie, mais pour l’épanouissement total des résidents poilus ou à plumes. C’est le luxe ultime pour les animaux : Les ratons laveurs se prélassent sur des matelas pneumatiques. Je crois qu'ils ont même un serveur personnel pour leurs cocktails de boue.Le guépard, très sportif, s'entraîne sur un tapis de course dernier cri. Sans doute pour travailler son summer body avant la saison des moussons.Les paons dégustent thé et pâtisseries fines, et les caméléons font les boutiques. J'avoue, j'ai été un peu jalouse de ce dernier point.
Tout respire la joie, la tranquillité, le confort. La mise en page est chatoyante, les animaux sont souriants, tout est lisse. Et c’est précisément là que le malaise s’installe. Je l’avoue, j'ai été mal à l'aise dès les premières pages. Ce bonheur forcé, cette perfection domestiquée, m’a semblé étrange, criant de mensonge. La question se pose alors : qu’en perçoivent les jeunes lecteurs ? Verront-ils le paradis des animaux chouchoutés, ou sentiront-ils, comme moi, cette petite alarme intérieure qui murmure que quelque chose cloche ? C'est une excellente mise en bouche pour les discussions.
L’album joue à merveille sur cette ambiguïté, en nous montrant, page après page, ces créatures au comble d’un bonheur qui nous est servi sur un plateau d’argent. Et puis... arrive la fin. Une double page qui s’ouvre, qui déchire le récit, pour nous révéler une savane vide, immense, déserte.Le contraste est violent, abrupt. C’est un coup de semonce. Ce qui est beau n’est pas forcément vrai. Ce qui est montré n’est qu’une infime partie de ce qui est caché. On passe du confort douillet de la cage dorée à l'immensité brute et sans artifice du dehors.
Chez nous, c'est ailleurs
C’est une fin manifestement pensée pour être marquante, pour laisser une trace, un petit point d’interrogation bien ancré dans l’esprit du lecteur. J'ai beaucoup apprécié cette invitation lancée aux enfants : celle de devenir des regardeurs avisés, capables de voir au-delà du décor, de questionner le visible pour dénicher l'invisible. Un livre à mettre entre toutes les mains, pour un brin de poésie et beaucoup de matière à réflexion.
Prolongements
Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry
L'Ours qui n'était pas de Wolf Erlbruch
- Titre : Chez nous / Paru le 19 août 2021
- Auteurs/Illustrateurs : Joo Jin et Kyung Jin
- Maison d’édition : La joie de lire
- Âge de lecture : À partir de 6 ans








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