Je cherche parfois des textes qui, au-delà de la simple narration, de silence intérieur et de déplacement du regard. L’Enfaon d’Éric Simard appartient à cette catégorie rare. Ce n’est pas une histoire de robot ni de science-fiction spectaculaire. C’est un récit court, dépouillé, mais bouleversant. Il s’adresse à des enfants, certes, mais il parle à ce qu’il y a de plus profond en nous : notre définition de l’humanité.
Je l’ai lu à mes élèves à voix haute. Dès les premières pages, un silence dense s’est installé. Pas le silence poli ou distrait, mais un silence tendu, attentif, presque inquiet. Ils ont écouté l’histoire de cet enfant né d’une manipulation scientifique : un enfant à qui l’on a greffé des cellules de faon. Le résultat ? Un être à la fois humain et animal, un être écorché, hésitant, sans mots mais avec une forte présence. Un être qui suscite tour à tour de la compassion, un malaise et de la fascination.
Ils ne connaissaient pas ce type de récit. Ils m’ont dit ne pas avoir l’habitude de ressentir ce genre ... C’est précisément là que réside la force de ce texte. Il ne cherche pas à expliquer, il ne moralise pas. Il met en scène une situation limite : celle d’un enfant qu’on a voulu réparer ou recréer et qui devient autre non plus pleinement humain dans le sens ordinaire. Il oblige à penser ce que l’on préfère souvent ne pas voir : jusqu’où peut-on aller en transformant le corps, l’esprit, la mémoire ? À partir de quand cesse-t-on d’être un enfant, ou un homme ?
J’ai tenté de faire naître un débat sur le transhumanisme, sur les limites de la science, sur l’éthique des manipulations génétiques. Mais tout cela leur semblait lointain, presque irréel. Ils n’ont pas encore les repères pour conceptualiser ces notions. Et pourtant, je suis convaincue que quelque chose a été semé. Ce que les mots ne pouvaient formuler, les émotions l’ont inscrit autrement.
Car L’Enfaon, avant d’être une fable scientifique est un récit du sensible. Il passe par le corps, les gestes, les regards. Et c’est par là qu’il touche les enfants : dans ce qu’ils ressentent, dans leur capacité à percevoir l’altérité et à s’attacher à ce qui ne leur ressemble pas.
En tant qu’enseignante, je crois qu’il faut oser ces lectures-là. Celles qui ne plaisent pas à tous. Celles qui laissent sans réponse immédiate. Celles qui installent un malaise fécond. C’est cela aussi, former des esprits : leur offrir la possibilité de penser l’impensable non pas par l’argument, mais par l’expérience esthétique, affective et silencieuse.
- Auteur : Eric Simard / Illustratrice : Stéphanie Hans
- Editeur : Syros Junior / Collection : Mini Syros Soon
- 48 pages / Paru en janvier 2010
- A partir de 9 ans
Bravo pour ce choix de lecture qui sort des sentiers battus et apporte une ouverture d'esprit aux élèves
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