Je viens de terminer Crescent City, House of Flame and Shadow, le troisième tome de la saga de Sarah J. Maas. Et je reste encore suspendue quelque part entre les mondes. Il y a des lectures qui, en plus de raconter une histoire, viennent déplacer notre rapport à la fiction elle-même.
Il m’a d’abord fallu retrouver Bryce. Ce n’est pas un détail : la retrouver, elle, là où elle en est, avec ce qu’elle a traversé, mais aussi me retrouver, moi, avec mes souvenirs de lecture, parfois flous, parfois précis, des tomes précédents, et de A Court of Thorns and Roses. Car oui, Sarah J. Maas franchit ici un seuil nouveau, en entremêlant les fils de ses sagas dans un vaste multivers. Et ce n’est pas sans effet sur le lecteur : attachement dédoublé, fidélités multiples, mémoire fragmentaire. Un vrai vertige.
Là où certains pourraient voir un simple effet de style ou un plaisir d'autrice à lier ses univers, j’ai ressenti, au fil des pages, une réflexion plus profonde : comment tenir ensemble des mondes différents, des histoires aux lois distinctes ? Et, surtout, que devient l’identité lorsque l’on traverse les mondes ? Cette question, Bryce la porte à chaque instant. Elle n’est pas qu’une héroïne de fantasy : elle devient, malgré elle, le lien, la brèche, la passerelle entre des réalités disjointes.
Ce tome est aussi celui de l’héritage. Et pas un héritage noble et rassurant mais un héritage ambigu et lourd. Le pouvoir qu’elle reçoit est immense mais il vient d’une lignée qu’elle réprouve. Cela m’a particulièrement touchée. Que faire de ce que l’on reçoit lorsque cela vient de figures que l’on ne respecte pas ? Et comment se construire alors ?
Bryce n’est pas parfaite. Elle est puissante certes, mais aussi impulsive, fragile, et traversée de doutes. Et c’est justement cette faille, cette lucidité sur elle-même, qui la rend si digne d’attention. Elle ne veut pas devenir celle qu’elle déteste mais elle sait qu’elle en porte la possibilité. Le récit devient alors non plus une conquête de pouvoirs, mais un travail intérieur, une mise à l’épreuve éthique. J'ai aimé cette complexité, cette tension morale, jamais résolue trop vite.
L’un des effets les plus forts de ce tome, pour moi, a été le recul qu'il impose. On ne peut plus lire en simple spectateur. Ce n'est plus une histoire dans un monde, mais un monde dans une histoire plus vaste. Et nous devenons nous aussi des passeurs.
Je ne dirai rien de la fin, sinon qu'elle ouvre autant qu’elle clôt. Ce que Sarah J. Maas tente ici est ambitieux, peut-être trop pour certains ; mais si on accepte d'être un peu désorienté, bousculé dans ses habitudes de lecture, alors on peut percevoir ce que la fantasy contemporaine essaie de devenir : un espace non plus clos mais poreux, traversé d’échos, de tensions et de mondes en friction.
- Autrice : Sarah J.Maas / Traduction : Chloé Bardant
- Editions : De Saxus
- Paru le 1er février 2024 / 960 pages
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